Chronique Design Universel, par Anna Kwon

Quand j’étais étudiante en architecture en France, j’ai vu une annonce pour une accompagnatrice pour une jeune fille d’âge adulte en fauteuil roulant. Après avoir choisi le « Design universel » comme le thème du mon projet de fin d’études, je cherchais à accroître mes connaissances sur la vie des personnes à mobilité réduite. J’ai donc tout de suite répondu à cette annonce et fait la connaissance de Sara.

Sara avait une paralysie cérébrale sévère et devait être accompagnée par quelqu’un pour manger, boire, s’essuyer, se peigner, enfin pour tous les soins personnels essentiels. Au début, on a passé du temps juste pour placoter et rigoler chez elle. Elle me parlait de sa vie, mais surtout me posait plein de questions.

Un jour, elle m’a proposé de l’accompagner dans un bar. Je suis montée dans le transport adapté pour la première fois. Nous sommes arrivées dans le quartier Marais à Paris devant un bar réputé parmi les jeunes. Comme la plupart des petits commerces dans un vieux bâtiment, le bar avait des marches à l’entrée et le portier m’a aidée à monter le lourd fauteuil roulant motorisé de Sara. Nous nous sommes confortablement installées dans un coin et la soirée passait tranquillement. Le but de la soirée ? Sara voulait rencontrer quelqu’un de qui elle pourrait éventuellement tomber amoureuse.

Sara avait un désir de rencontrer quelqu’un. Ayant de grands besoins au niveau du fonctionnement physique, elle ne percevait pas le mot « sexualité » comme étant uniquement relié aux activités sexuelles. Elle voulait avant tout sortir de chez elle, fréquenter des lieux publics et se faire des amis. Bien qu’il y ait une centaine de sites de rencontres disponibles en ligne, le désir de sortir de chez soi et rencontrer des gens est un besoin fondamental pour tous, voire essentiel pour mener une vie saine.

Est-ce que Sara trouvait la sortie facile ? Pas du tout. Outre sa dépendance à un aidant pour se nourrir ou boire, elle trouvait pénible le fait qu’elle soit restreinte dans son choix. Sara aurait aimé entrer et sortir du bar librement quand elle le souhaitait, au lieu de devoir demander de l’aide à chaque fois. Elle aurait aimé y rester plus longtemps, quand elle rencontrait quelqu’un et engageait une conversation intéressante, mais elle devait faire ses « Au revoir » parce que le transport adapté arrivait pour le retour à la maison. Sara aurait aimé se promener en ville avec cette personne, mais le trottoir était accidenté ou parfois trop étroit, c’était trop risqué pour elle de se promener dans un tel environnement. Sara aurait aimé aller en visite chez quelqu’un, mais l’appartement de cette personne n’était pas accessible et elle ne pouvait pas y entrer.

Les incapacités ou les limitations fonctionnelles sont les facteurs personnels résultant d’une maladie, du vieillissement, d’un accident, d’une déficience existant à la naissance ou d’autres. La personne ayant une limitation fonctionnelle peut se trouver dans un environnement facilitant ou entravant pour la réalisation de ses activités, dépendamment de l’aménagement. Une personne en fauteuil roulant, comme Sara, devant une entrée avec des marches, se trouve dans un environnement entravant et incompatible avec ses capacités donc, dans une situation de handicap. Un bar avec une entrée de plain-pied, lui permettant d’y entrer et sortir de façon autonome et sécuritaire à n’importe quel moment et quand elle le désire, aurait favorisé son autonomie et sa participation sociale.

C’est le but ultime du design universel qui vise la participation sociale et l’autonomie de tous les individus, peu importe leurs capacités. L’autonomie dans un sens plus large réfère à la possibilité de choisir et de décider pour soi-même et non seulement, selon sa capacité de réaliser seul les activités. Sortir pour une soirée constitue une série de décisions à prendre pour le déplacement : sortir de chez soi, circuler sur le trottoir, traverser une intersection, se rendre à l’arrêt d’autobus, monter et prendre place dans l’autobus, sortir de l’autobus, s’arrêter quelque part pour quelconque raison, entrer dans le lieu à destination. Les aménagements comme les entrées, les trottoirs, les coins de rue, les traverses piétonnes, les arrêts d’autobus, conçus de manière accessible et inclusive, permettent de faire le choix de les utiliser comme on le souhaite et de réaliser les activités de façon autonome.

Dans cette chaine de déplacements, les qualités recherchées durant la réalisation jouent un rôle aussi important que de pouvoir décider pour soi-même : Combien de temps cela prendra-t-il ? Y a-t-il un choix du moyen de transport ? Est-ce favorable à la marche ? Y a-t-il des possibilités de parcours alternatifs ? Exigent-ils beaucoup d’effort ? Est-ce sécuritaire ? Si on parvient à la réponse négative à la plupart de ces questions, la personne préférerait rester chez soi au lieu de sortir et participer à la vie sociale.

Le design universel est donc beaucoup plus qu’une entrée de plain-pied de maison. On parle ici de nos rues, de nos commerces, du transport collectif, de l’infrastructure de notre ville et ses équipements. Le design universel paraît insignifiant dans le thème portant sur la sexualité des personnes à mobilité réduite. Mais au contraire, il est essentiel ! Et lorsque j’y pense, je me souviens toujours de Sara.

La sexualité dans le sens social et de développement personnel est bien ancrée dans nos habitudes de vie, où le déplacement et l’utilisation de l’environnement bâti sont incontournables. Le Design universel est un moteur de développement pour une société durable et libre d’obstacles où tout le monde peut exercer les activités de son propre choix.

Sara, malgré ses incapacités, voulait tout simplement profiter de la vie comme d’autres jeunes de son âge, mais elle a dû défier des obstacles à chaque déplacement et à chaque sortie. J’ai une admiration pour son courage, mais si l’aménagement était conçu de façon accessible et inclusive, il favoriserait d’autant plus son autonomie et sa participation à une vie sociale dans un environnement qui ne la handicape pas. Notre environnement bâti ne doit pas former un obstacle dans nos habitudes de vie. Au contraire, il doit contribuer pleinement à la croissance personnelle et au développement social, y incluant la sexualité bien sûr!

Architecte et consultante spécialisée en design universel, Anna Kwon possède près de 10 ans d’expérience au sein de firmes d’architectes au Québec. Sensible et chevronnée, elle a collaboré sur une grande variété de projets et son travail est dédié à la recherche de solutions concrètes et raffinées pour améliorer la qualité de vie des gens ayant des limitations fonctionnelles. Elle est l’auteure d’études portant sur l’intégration de caractéristiques d’accessibilité en bâtiment et de mémoires touchant au développement social, à la diversité et à l’inclusion.

Cet article a été publié dans le numéro du Printemps 2018 du magazine Paraquad, pas Moelle épinière et motricité Québec.