Chronique La Famille une grande force motrice, par Sophie Lanctôt
En 2018, la famille québécoise adopte de nombreux visages : famille traditionnelle, monoparentale, reconstituée, parents du même sexe, famille élargie avec grands-parents, parents avec limitations fonctionnelles, enfants avec limitations fonctionnelles, famille issue de l’immigration, famille urbaines, de banlieue, ou de milieu rural. La famille, c’est la diversité!
Les besoins des familles sont aussi variés que les types de familles : accessibilité architecturale, proximité, disponibilité, accessibilité financière, sécurité, convivialité, inclusion, autonomie, communication, pour n’en nommer que quelques-uns.
Et la famille, quelle que soit sa forme et ses besoins, fréquente de nombreux lieux : l’habitation tout d’abord, l’école ensuite, les commerces, les services, les lieux de récréation et d’activité, le réseau de la santé, le plein air, les transports, etc.
Comment répondre aux besoins des familles dans tous ces endroits fréquentés? Le design universel qui vise l’aménagement de lieux conviviaux, fonctionnels et sécuritaires pour tous, à partir des besoins exprimés par les personnes ayant différentes limitations fonctionnelles, nous semble être la voie à suivre.
La maison, c’est le cœur de la famille
Nous aspirons tous à vivre dans une maison où nous nous sentons bien et en sécurité, où nous pouvons être autonomes et où nous sommes à même de remplir nos obligations parentales. Nous souhaitons tous pouvoir y socialiser et y vieillir en santé.
Récemment, la Régie du bâtiment du Québec a proposé des exigences minimales pour l’accessibilité à l’intérieur des logements d’habitation. Celles-ci seraient applicables à la nouvelle construction ou à l’agrandissement d’un immeuble de plus de 2 étages et de 8 logements. Si ces modifications au Code de construction sont adoptées, ce sera la première fois au Québec que le parcours sans obstacles dépasse la porte d’entrée du logement et pénètre dans l’espace privé. C’est une nouvelle toute à fait réjouissante pour nous qui avons travaillé depuis longtemps à l’élaboration d’exigences minimales d’accessibilité pour l’intérieur des logements. Cependant elle met en évidence le peu de chemin parcouru jusqu’à maintenant en matière d’accessibilité de l’habitation. Nous sommes encore très loin du design universel! Plusieurs initiatives sont néanmoins porteuses d’espoir.
La visitabilité, telle que définie par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, en est une : concevoir toutes les habitations pour qu’elles soient aisément visitables par une personne ayant des limitations fonctionnelles. Une habitation visitable offre une entrée accessible, une salle de toilette accessible avec une aire de manœuvre suffisante pour être utilisée par une personne en fauteuil roulant et un corridor suffisamment large pour se rendre aisément dans les principales pièces de vie. L’habitation devient ainsi un lieu de socialisation ouvert aux visites de tous les amis et membres de la famille : une tante âgée, les voisins avec leur bébé en poussette, un ami avec une jambe dans le plâtre, la belle-soeur enceinte, les grands-parents se déplaçant avec une aide à la mobilité, etc. Une belle façon de briser l’isolement!
La maison intergénérationnelle en est une autre. Plusieurs études dressent un portrait intéressant du marché pour ce type d’habitation. Elles démontrent que le vieillissement de la population entraine un changement du mode de vie et une réflexion quant à la prise en charge des aînés. Une maison intergénérationnelle se définit comme une habitation unifamiliale composée de deux logements où une famille peut cohabiter avec ses parents vieillissants. Vivre avec ses parents à proximité permet de leur offrir une présence et une meilleure qualité de vie tout en favorisant la création de liens forts entre enfants et grands-parents. Une condition essentielle pour une maison intergénérationnelle réussie : l’unité occupée par les aînés doit être une habitation adaptable et celle occupée par les plus jeunes doit, minimalement, être visitable et de préférence, être adaptable. Et la bonne nouvelle c’est que depuis 1998, plusieurs municipalités ont adopté des règlements d’urbanisme autorisant la construction de maisons intergénérationnelles. (La loi de l’aménagement et de l’urbanisme permet aux municipalités d’octroyer des permis pour construire des maisons intergénérationnelles ou pour modifier une propriété existante afin d’y ajouter un logement intergénérationnel. Source : Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ))
Troisième initiative inspirante, le programme AccèsLogis de la Société d’habitation du Québec exige depuis 2014 que tous les logements d’un immeuble d’habitation desservi par ascenseur soient adaptables, tel que décrit dans l’Annexe 5 – Guide de construction du Programme AccèsLogis Québec, janvier 2014. Rappelons qu’AccèsLogis soutient la réalisation de logements sociaux et communautaires pour les familles, les aînés et les groupes particuliers, dans toutes les régions du Québec. Un logement adaptable AccèsLogis offre des circulations intérieures permettant la manœuvre d’un fauteuil roulant, une salle de bain entièrement accessible, une cuisine conçue pour faciliter les modifications spécifiques aux occupants, une chambre plus grande permettant l’usage d’un fauteuil roulant, un balcon accessible avec une porte battante, et plus encore!
L’école, tout un défi!
Pour les parents d’enfants ayant des limitations fonctionnelles et pour les parents ayant eux-mêmes des limitations fonctionnelles, l’accès à l’éducation est un sujet complexe, et ce du primaire jusqu’au moment de la transition à la vie active. Du point de vue strictement architectural, les écoles, cégeps et universités sont des institutions ancrées dans nos villes depuis des décennies et la performance d’accessibilité n’est souvent pas au rendez-vous. Plusieurs parents doivent donc envoyer leur enfant ayant une limitation fonctionnelle dans un quartier éloigné pour lui permettre de fréquenter une école accessible. Quant aux parents qui ont une limitation fonctionnelle, ils sont nombreux à ne pas être en mesure d’exercer leur rôle parental, d’assister aux rencontres avec les enseignants ou d’apprécier la prestation de fin d’année de leur enfant.
La mise en accessibilité des écoles existantes, entreprise par les commissions scolaires depuis une dizaine d’années, permet d’augmenter le nombre d’installations minimalement accessibles, sans toutefois offrir un usage similaire à tous ceux qui les fréquentent. La construction de nouvelles écoles et l’agrandissement d’écoles existantes sont des opportunités à ne pas manquer en matière de design universel, afin d’améliorer significativement l’accessibilité du réseau scolaire. Espérons que le LAB-École sera exemplaire en cette matière!
La famille, grande consommatrice de biens, services et loisirs
Un enfant malade, un rendez-vous chez le dentiste, l’achat de vêtements ou de fournitures scolaires, une visite au musée, le camp de jour, les vacances annuelles, la ligue de baseball, le cours de danse et la sortie au restaurant sont autant d’activités familiales où le défi de l’accessibilité architecturale se pose au quotidien. Comment accéder et utiliser toutes les facilités offertes par un lieu de façon équitable pour tous les membres de la famille?
Au Québec, la performance minimale que doivent rencontrer les nouveaux bâtiments et les bâtiments rénovés de façon majeure figure au Code de construction du Québec. Ceci dit, ces exigences règlementaires d’accessibilité minimale sont insuffisantes pour répondre adéquatement aux besoins variés de la population. Comme société, viser le minimum n’est pas suffisant, il faut viser plus haut pour que les lieux à l’usage du public soient davantage fonctionnels. Le design universel, un concept flexible, inclusif et durable qui propose des aménagements et des espaces diversifiés répondant simultanément aux besoins différents de tous les membres de la famille, apparait être une bien meilleure cible.
On ne peut évidemment pas passer sous silence le patrimoine lorsqu’il est question de lieux fréquentés par les familles. Prenons l’exemple des églises, témoins d’une époque où le grand escalier central, majestueux et imposant, accentuait le caractère sacré et distingué. Aujourd’hui, plusieurs anciens lieux de culte ouvrent largement leurs portes au public en adoptant de nouvelles vocations, telles une salle de spectacles, un lieu de rassemblement, un centre communautaire, posant ainsi de réels problèmes d’accessibilité. En questionnant la pertinence de maintenir les entrées traditionnelles ainsi que l’organisation de l’espace, le design universel peut s’avérer être, encore une fois, la solution.
En conclusion
L’architecture et l’aménagement reflètent les valeurs sociales et culturelles de leur époque. Notre société est en constante mutation. La composition et les aspirations des familles changent également. Quelles sont nos valeurs actuelles? Inclusion, autonomie, flexibilité, diversité, convivialité, fonctionnalité font en sorte que chacun, quel que soient ses capacités ou ses caractéristiques, ait une place dans la société. Quel concept d’aménagement y répond le mieux? Comment l’environnement bâti peut-il s’adapter à notre époque? Le design universel, sans l’ombre d’un doute!
Directrice générale de Société Logique depuis 30 ans, Sophie Lanctôt possède un baccalauréat en urbanisme ainsi qu’un diplôme en administration des affaires. Spécialiste de l’accessibilité universelle, elle s’intéresse tout particulièrement à l’architecture et à l’aménagement urbain via l’accompagnement de projets, la rédaction de guides de bonnes pratiques en design universel, la formation, ainsi qu’à titre de conférencière. Sous sa gouverne, Société Logique est devenu un moteur de changement dans la promotion du design universel et la création d’environnements universellement accessibles, contribuant à l’amélioration de la qualité de vie de tous les citoyens.
Cet article a été publié dans le numéro d’Été 2018 du magazine Paraquad, pas Moelle épinière et motricité Québec.